Le débat doit être intéressant chez les Badinter, si
l’on connaît la priorité qu’a proposé Robert à la gauche pour 2012, c’est-à-dire
donner le droit de vote aux étrangers en situation régulière, et la position
défendue il y a quelques années par Elisabeth dans le Nouvel Obs, contre le
droit de vote des non nationaux.
Quand on connaît et apprécie les deux personnages,
on en déduit que les arguments en faveur de l’une ou l’autre des positions sont
de poids équivalent et qu’un changement de point de vue peut entraîner un
changement de position.
Si l’on se place d’un point de vue philosophique, on
doit prendre en compte d’une part, ce que signifie être étranger et d’autre
part, ce qu’est le vote pour un ensemble d’individus constitués en nation.
Être étranger, si l’on ne fait aucune référence aux
raisons pour lesquelles on l’est, c’est ne pas être engagé par le destin de la
communauté nationale dans laquelle on se trouve. En effet, une nation est
caractérisée par le groupe humain qui partage une communauté de destin et un
territoire déterminé. Ce destin est d’une part interne, lorsqu’il définit les
règles spécifiques de la vie et des rapports entre les personnes (les citoyens)
qui constituent une nation et d’autre part externe, lorsqu’il concerne les
rapports qu’entretient cet ensemble avec les autres nations.
Le vote est le moyen que se donne un groupe humain
déterminé pour décider des choses qui le concernent exclusivement.
C’est donc l’appartenance au groupe qui doit être la
condition nécessaire du droit de vote. Ceci reporté au niveau national conduit
à énoncer un principe élémentaire : l’appartenance à une nation est la condition
nécessaire du droit de vote au sein de celle-ci.
Exprimé différemment, sur un territoire national,
seuls les citoyens nationaux sont habilités à déterminer le destin de la
nation. La question du droit de vote des étrangers ne se pose donc même pas.
Au-delà de cette position philosophiquement bien
fondée, il existe une réalité qui gêne l’application sans nuance de la règle « national
= droit de vote ; étranger = non droit de vote ».
Nous avons dû préciser plus haut que nous ne
prenions pas en compte les raisons pour lesquelles un étranger est un étranger.
Pourtant, si l’on observe la situation des étrangers chez nous (personnes
vivant en France et n’ayant pas la nationalité française), on s’aperçoit qu’il
en existe plusieurs catégories :
1) les étrangers vivant en France pour une période déterminée : étudiants,
travailleurs y exerçant provisoirement leur activité, vacanciers de longue
durée…
2) les étrangers immigrés pour raisons diverses : réfugiés politiques,
immigrés économiques, amoureux de la France…
3) immigrés clandestins
Parmi ces étrangers, certains souhaitent conserver leur nationalité d’origine
et d’autres souhaitent acquérir la nationalité française.
Enfin, transversalement à ces catégories, on peut séparer les étrangers entre
citoyens de l’Union Européenne et non citoyens de l’UE.
Certaines catégories ci-dessus ne semblent pas
concernées par un éventuel droit de vote en France. Il en est ainsi pour les
clandestins et ceux qui sont ici pour une période déterminée.
Deuxième réalité qui pose problème : les
sous-ensembles de la nation que sont les collectivités locales et régionales.
Si l’on est d’accord avec le fait que la citoyenneté nationale équivaut à l’engagement
envers le destin de la communauté nationale, peut-on dire qu’il en est de même
pour les niveaux régional, départemental et communal ? Dans quelle mesure
l’action à chacun de ces niveaux est-elle indépendante ou simplement une part
de l’accomplissement du destin national ?
C’est beaucoup sur les réponses à ces questions qui
ne sont pas évidentes que se base l’acceptation ou le rejet du droit de vote
pour les étrangers en situation régulière répondant à des critères de durée du
séjour. Le débat ne porte d’ailleurs que
sur le vote aux élections locales, c’est-à-dire communales, voire
intercommunales, ce qui limite les conséquences au niveau national du droit de
vote des étrangers, sans toutefois les supprimer.
Un (mauvais) argument est également souvent avancé
pour le droit de vote, c’est le fait que ces étrangers payent leurs impôts en France.
Si cet argument est déterminant, alors pourquoi limiter le droit de vote aux
élections locales ?
Un autre (mauvais) argument est porté par les adversaires
du droit de vote des étrangers, c’est qu’ils seraient des citoyens de seconde
zone et que la citoyenneté ne se partage pas. Mais dans la mesure où ils sont
citoyens d’un autre pays, ils sont citoyens à part entière chez eux et sont en
même temps citoyens de la cité où ils résident, sans qu’il n’y ait conflit
entre les deux citoyennetés.
Si l’on est persuadé que, dans notre république, les
personnes concernées par le destin de leur communauté doivent pouvoir
intervenir sur son destin et que la communauté nationale est le niveau
essentiel pour l’exercice de la démocratie et de la coopération entre les
peuples, alors pourquoi ne pas favoriser l’accès des étrangers en situation
régulière qui le souhaitent à la nationalité française, ce qui en fait
immédiatement des citoyens français avec tous les droits y afférant ? Cela
semble une solution logique et efficace, mais ne résout pas la question des
étrangers qui vivent chez nous mais ne souhaitent pas, pour le moment, devenir
citoyens français.
Leur donner le droit de vote aux élections locales
serait un moyen de les attirer vers un accès à la totale citoyenneté, alors que
leur interdire l’accès au vote local les maintient dans une exclusion de la
collectivité très souvent mal ressenti.
Le débat qui viendra prochainement au parlement sera
sûrement intéressant…