Je n’aurais pas imaginé me trouver en accord aussi
franc avec Michel Rocard et Alain Juppé. C’était en revanche un peu plus
logique pour ce qui concerne Robert Badinter et parfaitement attendu pour
Jean-Pierre Chevènement.
En effet, ces quatre hommes d’état, qu’on ne peut
pas suspecter de manque de hauteur de vue, même si l’on peut être en désaccord
avec les solutions qu’ils proposent, ont produit ensemble une tribune dans Libération le 14 octobre 2013, intitulée «La France a besoin de
scientifiques techniciens ».
On croyait la prophétie de Malraux « le XXIème
siècle sera religieux (ou mystique) ou ne sera pas » assez hasardeuse. La
montée en puissance des intégrismes religieux va pourtant dans ce sens. Hélas,
ce n’est pas seulement chez les religieux que l’obscurantisme fait des progrès.
Parmi les tenants de la laïcité, on trouve de plus en plus de groupes de
pression qui s’opposent, avec des méthodes qui méritent d’être interrogées, à
la recherche des éventuels progrès scientifiques qui caractérisent la nature
humaine au sein de la nature tout court.
Pourtant, l’exercice de la citoyenneté se nourrit de
l’évaluation d’arguments contradictoires. Parmi ceux-ci, sont indispensables
ceux des scientifiques qui consacrent toute leur activité à travailler sur les
sujets concernés. Chacun sait que le progrès technique est porteur à la fois de
transformations positives pour le genre humain, mais aussi de conséquences qui
peuvent être fâcheuses. Ces dernières doivent constituer une part raisonnable
de l’effort consacré pour leur développement. Ne considérer que l’un des deux
aspects pour interdire toute recherche visant à innover dans certains domaines
relève d’un nouveau totalitarisme, aussi dangereux que les autres.
Les Cassandre qui prédisent les pires calamités aujourd’hui
à propos des OGM, du nucléaire, des nanotechnologies auraient sans aucun doute
soutenu ceux qui craignaient les dangers pour la santé des passagers d’une
automobile dépassant les 60 km/h et auraient empêché le développement d’une
industrie qui a constitué le moteur de l’activité durant presque un siècle.
Non que ces technologies soient exemptes de défauts !
Mais un débat ordonné avec une parole libre des uns et des autres, sans
anathème ni bâillonnement de certaines opinions serait plus utile à la
compréhension des citoyens, qui pourraient ainsi se forger leur propre opinion
et mandater la classe politique pour mettre en œuvre les meilleurs choix.
L’heure n’est pas aux autodafés. Les enjeux
planétaires (écologiques et humains) sont suffisamment graves pour que toutes
les opinions soient entendues et tous les travaux de recherche entrepris et
encouragés pour avancer les yeux ouverts vers un avenir librement choisi.