En cette fin d’année propice à l’expression par
chacun d’entre nous de sa plus profonde humanité, on pourrait se poser la
question des liens qui unissent/opposent la politique et les bons sentiments.
L’infortuné professeur de philosophie qui a eu le
déplaisir de me subir durant une (courte) année scolaire suggèrerait illico de
mieux définir les deux termes avant de faire une étude comparative des concepts
correspondants. Le format de ce papier ne le permettant pas, nous en resterons
à l’acception la plus communément répandue de ceux-ci.
Sauf pour les individus programmés à la naissance
pour cette profession par leur famille ou leur milieu, mais sont-ils si
nombreux, les bons sentiments sont souvent les éléments déclencheurs de la démarche
politique. C’est presque toujours pour trouver un débouché au sentiment d’impuissance
devant les situations qui nous révoltent que nous nous engageons dans l’action
politique. Cessons nous pour autant de ressentir les mêmes émotions, la même
compassion, les mêmes colères ? Bien évidemment non.
Que se passe-t-il lorsqu’on fait une démarche d’engagement
politique ? On recherche un ensemble cohérent de valeurs qui servent de
grille de lecture des situations et de fil conducteur pour la détermination de
l’action. Les bons sentiments alors ne suffisent plus, car ils conduisent le
plus souvent à des positions intenables dues à leur contradiction interne. On
ne peut (doit) pas choisir entre la peste et le choléra…
Faire de la politique, c’est se mettre en situation
de participer au « gouvernement » de son pays, en assumant toutes les
conséquences des actions que l’on réalise au nom du peuple qui nous aura donné
sa confiance. C’est aussi vouloir œuvrer pour l’intérêt général, qui se heurte
le plus souvent à la cohorte des intérêts particuliers, tous légitimes du point
de vue de leurs porteurs. « Gouverner, c’est choisir » disait
justement Pierre Mendès France.
Alors pourquoi y a-t-il des partis politiques
paraissant aussi différents dans leurs analyses et leurs propositions ?
Parce que l’ensemble de valeurs qui sous-tendent leur existence est différent d’un
parti à l’autre. En France, nous disposons en principe d’une base commune,
définie à la suite de la Révolution de 1789 dans le triptyque liberté égalité fraternité. Comme nous l’avions
vu dans un précédent article, il serait peut-être préférable aujourd’hui de
substituer solidarité à fraternité et de rajouter laïcité. La différence des
partis vient de l’interprétation plus ou moins restrictive de ces valeurs, les
restrictions s’exprimant souvent dans des adjectifs accolés ou dans une
évolution du concept (liberté du plus fort d’opprimer le plus faible, équité au
lieu d’égalité, laïcité adaptée, etc.).
Faut-il pour autant faire taire les bons sentiments ?
Il est heureux et souhaitable que ceux qui consacrent leur action publique à
leur expression continuent de le faire, fût-ce en opposition aux élus de la
nation et aux gouvernants. C’est de cette dialectique que sort la meilleure définition
de l’intérêt collectif. Mais l’erreur des gouvernants est de ne pas faire
confiance à un système de valeurs qui les a conduits jusqu’au pouvoir et de
céder, la main sur le cœur, à toutes les pressions des porteurs de bons
sentiments. Ils sont en principe garants de la cohérence d’ensemble du système
qu’ils proposent et qui peut être mise à mal par des renonciations
injustifiables.
De même, les porteurs médiatiques de bons sentiments
doivent comprendre qu’ils ont fait le choix de ne pas se salir les mains en
faisant de la politique et manifester du respect pour ceux qui s’y sont
engagés. La disqualification de la politique ne peut servir que les
totalitarismes.