mercredi 25 décembre 2013

Politique et bons sentiments



En cette fin d’année propice à l’expression par chacun d’entre nous de sa plus profonde humanité, on pourrait se poser la question des liens qui unissent/opposent la politique et les bons sentiments.

L’infortuné professeur de philosophie qui a eu le déplaisir de me subir durant une (courte) année scolaire suggèrerait illico de mieux définir les deux termes avant de faire une étude comparative des concepts correspondants. Le format de ce papier ne le permettant pas, nous en resterons à l’acception la plus communément répandue de ceux-ci.

Sauf pour les individus programmés à la naissance pour cette profession par leur famille ou leur milieu, mais sont-ils si nombreux, les bons sentiments sont souvent les éléments déclencheurs de la démarche politique. C’est presque toujours pour trouver un débouché au sentiment d’impuissance devant les situations qui nous révoltent que nous nous engageons dans l’action politique. Cessons nous pour autant de ressentir les mêmes émotions, la même compassion, les mêmes colères ? Bien évidemment non.

Que se passe-t-il lorsqu’on fait une démarche d’engagement politique ? On recherche un ensemble cohérent de valeurs qui servent de grille de lecture des situations et de fil conducteur pour la détermination de l’action. Les bons sentiments alors ne suffisent plus, car ils conduisent le plus souvent à des positions intenables dues à leur contradiction interne. On ne peut (doit) pas choisir entre la peste et le choléra…

Faire de la politique, c’est se mettre en situation de participer au « gouvernement » de son pays, en assumant toutes les conséquences des actions que l’on réalise au nom du peuple qui nous aura donné sa confiance. C’est aussi vouloir œuvrer pour l’intérêt général, qui se heurte le plus souvent à la cohorte des intérêts particuliers, tous légitimes du point de vue de leurs porteurs. « Gouverner, c’est choisir » disait justement Pierre Mendès France.

Alors pourquoi y a-t-il des partis politiques paraissant aussi différents dans leurs analyses et leurs propositions ? Parce que l’ensemble de valeurs qui sous-tendent leur existence est différent d’un parti à l’autre. En France, nous disposons en principe d’une base commune, définie à la suite de la Révolution de 1789 dans le triptyque liberté égalité fraternité. Comme nous l’avions vu dans un précédent article, il serait peut-être préférable aujourd’hui de substituer solidarité à fraternité et de rajouter laïcité. La différence des partis vient de l’interprétation plus ou moins restrictive de ces valeurs, les restrictions s’exprimant souvent dans des adjectifs accolés ou dans une évolution du concept (liberté du plus fort d’opprimer le plus faible, équité au lieu d’égalité, laïcité adaptée, etc.).

Faut-il pour autant faire taire les bons sentiments ? Il est heureux et souhaitable que ceux qui consacrent leur action publique à leur expression continuent de le faire, fût-ce en opposition aux élus de la nation et aux gouvernants. C’est de cette dialectique que sort la meilleure définition de l’intérêt collectif. Mais l’erreur des gouvernants est de ne pas faire confiance à un système de valeurs qui les a conduits jusqu’au pouvoir et de céder, la main sur le cœur, à toutes les pressions des porteurs de bons sentiments. Ils sont en principe garants de la cohérence d’ensemble du système qu’ils proposent et qui peut être mise à mal par des renonciations injustifiables.

De même, les porteurs médiatiques de bons sentiments doivent comprendre qu’ils ont fait le choix de ne pas se salir les mains en faisant de la politique et manifester du respect pour ceux qui s’y sont engagés. La disqualification de la politique ne peut servir que les totalitarismes.

lundi 18 novembre 2013

Le changement, c'est difficile



Si l’on en croit les médias et les conversations de café de la gare, la morosité a gagné l’ensemble de la société française : les riches qui seraient trop imposés, les pauvres qui restent pauvres du fait du chômage en constante progression et de la faiblesse des salaires, les classes moyennes qui subissent l’augmentation des taxes, les bretons qui sont bretons, etc. A quoi s’ajoutent les prestations peu enthousiasmantes de l’équipe de France de foot, synonymes de privation de l’antidépresseur « coupe du monde de foot 2014 ».

Alors on souhaite un changement de gouvernement et on suppute sur les éventuels successeurs du condamné Jean-Marc Ayrault. Malheureusement, la plupart de nos concitoyens ne posent pas encore le problème en termes de changement de politique. La preuve en est partiellement dans le classement des successeurs sur un vote par internet, qui voit arriver en tête Jean-Luc Mélenchon, synonyme en effet de changement de politique, mais suivi de Martine Aubry et Manuel Valls. Ces derniers incarnent la continuité d’une politique d’acceptation de l’Europe libérale et de ses contraintes sur l’économie de notre pays.

François Hollande, malgré ses déclarations de campagne et ses timides tentatives de début de mandat pour une réorientation de l’Union Européenne, est rentré dans le rang et ne pourra pas en sortir sans se renier. Lui et son gouvernement en sont réduits à opérer aux marges en mettant des pansements sur les plaies ouvertes de la désindustrialisation et du chômage et en lançant des débats de société en soi utiles et intéressants, mais qui cachent l’essentiel de la détresse des classes défavorisées.

Pendant ce temps, en édulcorant son propos, le Front National progresse dans l’opinion et dans les votes aux élections partielles. Cependant, si l’on examine les raisons du succès de ce dernier auprès de l’électorat, c’est surtout le discours contre l’Europe libérale qui domine très largement. Alors ce rejet de la façon de construire et de gérer l’Union Européenne serait-il d’extrême droite ? C’est ce que voudraient laisser croire les représentants de la droite et de la gauche de gouvernement pour se dédouaner de leur responsabilité conjointe dans la situation présente. Même le favori du sondage évoqué ci-dessus a défendu en son temps le traité de Maastricht, fondateur de l’Europe libérale à monnaie unique. Il est vrai qu’il a reconnu son erreur depuis, mais c’est un signe d’incapacité à se projeter dans l’avenir qui est inquiétant.

Le changement serait d’admettre que la monnaie unique n’est pas adaptée à la réalité de notre continent et d’en tirer les conséquences sur l’attitude à adopter, vis-à-vis de l’Allemagne, parmi les seuls pays à tirer pour le moment bénéfice d’un euro surévalué. Ce serait donc de rendre aux nations la possibilité de retrouver une marge de manœuvre monétaire leur permettant de se sortir du trou dans lequel elles se trouvent et qui ne sera jamais comblé par les contributions des autres nations européennes (voir la Grèce et ses plans successifs et coûteux de redressement). Ce serait s’adapter à la réalité sociale économique et culturelle de chaque pays de l’UE en mettant en place des mécanismes de coopération nouveaux au lieu des sanctions plus ou moins automatiques contre ceux qui sont déjà dans la difficulté. En un mot ce serait être pragmatique.

François Hollande est connu pour son pragmatisme et son art du compromis. Il est temps qu’il les exerce dans le domaine de la construction européenne en ne craignant pas le débat avec des partenaires de plus en plus puissants, mais qui en fait dépendent beaucoup plus de nous qu’ils ne l’imaginent. L’amitié ne doit pas signifier acceptation de la loi du plus fort économiquement. Il n’y a pas que l’économie pour définir le rayonnement et la force d’une nation. La France est une grande nation, il serait bon qu’elle n’en perde pas conscience.

mercredi 16 octobre 2013

La science et l’obscurantisme



Je n’aurais pas imaginé me trouver en accord aussi franc avec Michel Rocard et Alain Juppé. C’était en revanche un peu plus logique pour ce qui concerne Robert Badinter et parfaitement attendu pour Jean-Pierre Chevènement.

En effet, ces quatre hommes d’état, qu’on ne peut pas suspecter de manque de hauteur de vue, même si l’on peut être en désaccord avec les solutions qu’ils proposent, ont produit ensemble une tribune dans Libération le 14 octobre 2013, intitulée «La  France a besoin de scientifiques techniciens ».

On croyait la prophétie de Malraux « le XXIème siècle sera religieux (ou mystique) ou ne sera pas » assez hasardeuse. La montée en puissance des intégrismes religieux va pourtant dans ce sens. Hélas, ce n’est pas seulement chez les religieux que l’obscurantisme fait des progrès. Parmi les tenants de la laïcité, on trouve de plus en plus de groupes de pression qui s’opposent, avec des méthodes qui méritent d’être interrogées, à la recherche des éventuels progrès scientifiques qui caractérisent la nature humaine au sein de la nature tout court.

Pourtant, l’exercice de la citoyenneté se nourrit de l’évaluation d’arguments contradictoires. Parmi ceux-ci, sont indispensables ceux des scientifiques qui consacrent toute leur activité à travailler sur les sujets concernés. Chacun sait que le progrès technique est porteur à la fois de transformations positives pour le genre humain, mais aussi de conséquences qui peuvent être fâcheuses. Ces dernières doivent constituer une part raisonnable de l’effort consacré pour leur développement. Ne considérer que l’un des deux aspects pour interdire toute recherche visant à innover dans certains domaines relève d’un nouveau totalitarisme, aussi dangereux que les autres.

Les Cassandre qui prédisent les pires calamités aujourd’hui à propos des OGM, du nucléaire, des nanotechnologies auraient sans aucun doute soutenu ceux qui craignaient les dangers pour la santé des passagers d’une automobile dépassant les 60 km/h et auraient empêché le développement d’une industrie qui a constitué le moteur de l’activité durant presque un siècle.

Non que ces technologies soient exemptes de défauts ! Mais un débat ordonné avec une parole libre des uns et des autres, sans anathème ni bâillonnement de certaines opinions serait plus utile à la compréhension des citoyens, qui pourraient ainsi se forger leur propre opinion et mandater la classe politique pour mettre en œuvre les meilleurs choix.

L’heure n’est pas aux autodafés. Les enjeux planétaires (écologiques et humains) sont suffisamment graves pour que toutes les opinions soient entendues et tous les travaux de recherche entrepris et encouragés pour avancer les yeux ouverts vers un avenir librement choisi.

dimanche 15 septembre 2013

Entre la peste et le choléra, choisissons la justice



L’affaire dite « du bijoutier de Nice » a beaucoup occupé les médias ces derniers jours. Le record de mentions j’aime sur la page facebook consacrée au soutien du bijoutier, quoique contesté quant à son authenticité, est caractéristique d’une assez grande mobilisation des internautes.

Le débat est assez bien posé en général. L’intervention du procureur de Nice est à cet égard d’une grande clarté. Cependant, si l’on tente de se faire une opinion sur cette affaire, on peut être choqué par les interviews des proches et soutiens du bijoutier mais aussi de la famille du jeune cambrioleur tué dans cette opération.

Les uns parlent de légitime défense en arguant de la répétition des agressions du même genre subies par le commerçant et les autres s’insurgent que leur fils ou neveu ait pu recevoir une balle lors d’un cambriolage à main armée et voudraient voir l’assassin croupir en prison en attendant le procès (qu’aurait on entendu de plus si le commerçant avait été un français de souche).

L’exaspération, la peur viscérale qui affecte les personnes victimes d’agressions dans l’exercice de leur activité professionnelle, sont naturelles et parfaitement compréhensibles. La réponse à cet état de fait doit être trouvée dans le soutien de la société (psychologique, social et économique si nécessaire) aux victimes de ces violences. L’époque où l’on faisait la justice soi-même est révolue, car un système toujours imparfait mais moralement acceptable a été mis au point : il s’appelle la justice.

Faire la démarche de s’équiper en armes létales pour faire face à des situations stressantes comme les attaques à main armée constitue la faute initiale. On ne sait pas en effet comment on va réagir sous le coup de la légitime colère qui nous saisira à la prochaine occasion. Il sera trop tard ensuite pour regretter d’avoir apporté une réponse disproportionnée à cette nouvelle agression. Il sera également difficile d’invoquer la légitime défense après avoir tiré dans le dos du ou des cambrioleur(s) qui s’enfuyai(en)t.

Symétriquement, utiliser une arme pour menacer quelqu’un et lui voler son bien en le terrorisant constitue une prise de risque assumée par le cambrioleur. La probabilité de se faire tirer dessus n’est pas nulle. Il est donc assez illégitime de la part de l’entourage, qui est en général le mieux à même d’éviter au délinquant de céder à la facilité du recours à la violence comme moyen de subsister, de réclamer une grande sévérité contre l’agressé devenu agresseur.

La vengeance conduit le plus souvent à une spirale infernale dont les effets sont incomparablement plus graves que les raisons qui en sont à l’origine. Les personnes qui manifestent leur soutien aux auteurs d’actes de vengeance affichent en même temps leur manque de confiance en la justice. Ils ne font pas preuve d’une grande intelligence, car la mise en place d’un outil comme la justice est le signe d’un progrès de la civilisation. On peut pourtant penser qu’ils ne sont pas nostalgiques du bon vieux temps des règlements de compte et de la loi du plus fort.

jeudi 29 août 2013

C'est reparti pour une intervention !



La période que nous vivons a comme un petit goût de déjà vu. Une guerre civile a lieu dans un pays du Sud, en l’occurrence cette fois ci la Syrie, suite à un soulèvement populaire contre un régime autoritaire. On suspecte le pouvoir en place d’utiliser des armes interdites pour venir à bout de la rébellion. Ce pouvoir a le soutien affiché d’une grande puissance : la Russie et implicite d’une autre : la Chine.

Et voila que dans le camp des « grands pays civilisés », c’est-à-dire les Etats-Unis, le Royaume Uni et la France on cherche la preuve de l’utilisation par les troupes fidèles à Bachar El Hassad d’armes chimiques qui ont fait des dizaines de victimes civiles. Cette preuve est indispensable pour la justification morale d’une éventuelle intervention, car les peuples de ces pays se sont déjà fait rouler par leurs dirigeants quant à la possession d’armes de destruction massive par le régime iraquien de Saddam Hussein, justifiant l’engagement dans la deuxième guerre du Golfe.

Mais pendant ce temps, on prépare l’infrastructure d’une intervention lourde en positionnant des navires de guerre porteurs d’engins capables d’opérer des « frappes chirurgicales » sur des objectifs militaires ou policiers syriens.

Ce soit disant « droit d’ingérence » dans les affaires d’un état souverain, cher à Bernard Kouchner, constitue une dérive postcoloniale qui est non seulement inacceptable, mais encore dangereuse, quand on voit le résultat des dernières interventions. La Lybie par exemple, dont on ne parle guère plus, mais qui est le théâtre d’affrontements mortels et dont aucun pouvoir solide et légitime ne semble en mesure de s’établir durablement. L’Irak où les attentats font tous les jours des dizaines de morts.

Il en va autrement des pays qui demandent l’intervention d’une force alliée contre un ennemi intérieur, comme le Mali. Sachant tout de même que l’engagement dans ce pays n’est pas terminé et que l’on ne voit pas le terme du processus à moyenne échéance.

Alors il est vrai qu’on est révulsé par la manière qu’ont certains dirigeants de répondre aux aspirations légitimes de leur peuple à la démocratie, la justice et à l’égalité entre les citoyens. On ne peut pas fermer les yeux devant des comportements génocidaires. Il existe des moyens diplomatiques et économiques de peser sur ces dictatures qui n’ont pas tous été utilisés.

L’intervention militaire, même si elle permet aux pays de tester leur armement, à leurs dirigeants de jouer les matamores et de prendre des points dans les sondages sur la base des plus bas instincts (fierté d’être du bon côté du missile), n’est que la partie émergée d’un iceberg qui est constitué de l’affaiblissement économique  de la région concernée, l’exacerbation de haines ancestrales, la déstabilisation politique durable favorisant l’émergence de régimes plus ou moins théocratiques, etc.

L’intervention militaire a par ailleurs un coût direct, difficile à justifier quand on doit faire des économies drastiques (jusque dans la recherche publique) et un coût indirect, diplomatique, qui établit pour une longue période une haine tenace de ces pays néocoloniaux qui se croient autorisés à se mêler de affaires intérieures des autres.

Il va de soi que nos responsables politiques sont assez intelligents pour être conscients de tout cela. Il reste néanmoins à souhaiter qu’ils feront leurs choix d’action sur la base de considérations avouables.