lundi 6 février 2012

Les révolutions ne se font pas en un jour


Le monde dit occidental a été tout d’abord surpris, puis enchanté par le vent de révolte qui, au nom de la liberté, a vu se soulever de nombreux peuples du sud de la Méditerranée.

Nous avons pensé que ce mouvement allait accoucher rapidement de démocraties, brinquebalantes au début, mais réelles, sur le modèle de ce que nous sommes habitués à vivre dans nos pays occidentaux. Nous avons donc du mal à comprendre pourquoi les troubles continuent en Tunisie, en Lybie, en Egypte…
Peut-être est-ce parce que nous avons oublié ou idéalisé le processus qui a conduit à l’avènement de nos démocraties. La révolution française a finalement mis 60 ans pour s’accomplir, avec des épisodes de Terreur, d’Empire, de Restauration,…

Les révolutions interviennent toujours lorsque le pouvoir est confisqué depuis longtemps par un petit nombre (la noblesse, un parti, une oligarchie), est exercé durement, et que la majeure partie du peuple est opprimée. Cet état d’oppression économique, politique, culturelle, policière, ne prépare pas les opprimés à exercer le pouvoir.  Lorsque l’étincelle déclenche l’explosion de colère du peuple, celui-ci n’a comme premier objectif de se débarrasser coûte que coûte de son (ses) oppresseur(s).
Vient ensuite une vacance du pouvoir qui ne peut être stoppée que par les forces organisées antérieurement à la révolte initiale. Ce sont elles qui permettent d’éviter le chaos dans un premier temps. Dans les pays du Nord de l’Afrique, les deux forces organisées officiellement ou clandestinement sont les armées et la religion dominante. Il n’est donc pas étonnant de les voir prendre le pouvoir en promettant la transition démocratique et quelquefois en s’opposant l’une l’autre.
Il faudrait aussi parler du rôle des états proches (géographiquement ou par les liens économico-militaires). Ils intervenaient déjà lors de notre chère révolution française.

Alors, à une époque où tout semble aller plus vite, nous nous impatientons pour les peuples nouvellement libérés de leurs oppresseurs. Cependant, le processus révolutionnaire a son propre temps, même si les outils modernes de communication facilitent son développement. Nous devrions peut-être nous féliciter de voir les initiateurs des révolutions ne pas baisser les bras et continuer de porter une exigence forte de démocratie malgré la récupération de leur mouvement.
Ils y parviendront comme nos nations y sont parvenues.

1 commentaire:

  1. Oui, je suis totalement d'accord avec toi sur le fond et j'ai eu l'occasion de défendre ce parallélisme avec notre propre Histoire devant des personnes qui voient dans les bons scores des partis islamistes le signe d' une évolution générale du monde arabe et donc un danger pour la société française.

    Par contre, un simple parallèle avec les débuts difficiles de la 3ème République serait plus efficace pour soutenir ta démonstration. La république a été proclamée en 1870 mais les républicains n'ont eu le contrôle des institutions qu'en 1879. Les 1ères élections législatives en 1871 donnèrent une nette majorité aux monarchistes. Ceux-ci eurent plus à coeur de réinstaurer un certain ordre moral (dont le symbole fut la construction du Sacré Coeur pour expier la Commune) que de remettre un roi sur le trône. Même si Napoléon III a été déchu après une défaite militaire et non une révolte populaire comme Ben Ali, le parallèle avec la Tunisie demeure intéressant (en 1871, il y eut 20 députés bonapartistes sur 675 ce qui montre les sentiments du peuple envers l'empereur) car à bien des égards ces partisans de l'ordre moral étaient beaucoup plus réactionnaires (fermés à la modernité) que le souverain déchu, de même qu'en Tunisie Ben Ali malgré son degré de corruption et sa déliquescence doit continuer à être crédité d'avoir au moins accompagné une certaine évolution de la société (éducation laïque, rôle actif de la femme, interdiction de la polygamie...) que les partis actuellement majoritaires aimeraient bien rogner. On peut donc espérer raisonnablement que ces mêmes partis respecteront les règles démocratiques dont ils tirent aujourd'hui leur légitimité quand elles leur seront moins favorables de même qu'en France, légitimistes et orléanistes acceptèrent de devenir des forces d'opposition avant de disparaître peu à peu du champs politique pour les premiers, de se reconvertir en libéraux républicains pour les seconds.
    La situation de la Tunisie (pays de taille moyenne, homogénéîté ethnique, bon niveau d'éducation, existence de classes moyennes, majorité relative et non absolue des partis islamistes) permet de rester optimiste quant à son potentiel évolutif.
    Hélas, on n'en dira pas autant de l'Egypte et encore moins de la Libye.
    Le départ d'Hosni Moubarak du au moins autant aux pressions internationales qu'aux manifestations a permis à l'armée de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. La taille de l'Egypte en superficie comme en population, les écarts entre la mégapole du Caire et le sud du pays ne rendent pas les choses faciles.
    Quant à la Libye, le risque de guerre civile, voir tribale ou ethnique qui aboutirait à une partition du pays est bien réel. Voir à ce sujet l'intervention au Sénat de Jean-Pierre Chevènement ce même jour.

    Pierre Brefeil

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